Le postulat de départ qui consistait à produire un décor ensuite utilisé comme "cadre/arrière plan" pour les portraits, avait pour objectif d'interroger le décalage perceptif des personnes handicapées avec le nôtre, à nous les « normaux ». Questionnant l’illusion, l’anamorphose, le trompe l’œil, commet chacun voit et comprend ce qui l’entoure? Comment eux et nous, nous nous percevons les uns les autres. « Pour eux, les fous c’est nous » me disait Richard, animateur qui m’a accompagné tout au long du parcours.
Je voulais que chacun des résidents puisse trouver sa place dans la visibilité ordinaire dont les individus en marge sont habituellement soustraits. Les images de corps normalisés qui envahissent l’espace public, médiatique, publicitaire, parasitent nos champs de vision et ne laissent pas de place aux êtres différents. Cette série de portraits est aussi une manière de remettre en question la beauté et de pulvériser celle des magazines de mode, des tendances du moment, des tops modèles, tellement destructrice à bien des égards.
Aussi, les personnes ont posé en évitant la mise en scène, la fiction ou le spectaculaire, cherchant une posture, à la frontère de leur être et de leur apparence. Chaque séance de pose fut un moment de concentration extrême, les modèles furent remarquablement disponibles, patients et heureux à la fois, emplis de générosité.
Au cours des séances de prises de vues, ce fut pour moi qui étais derrière l’appareil la recherche du bon point de vue pour trouver une juste interrelation entre la personne et l’arrière plan. Je tentais de lutter contre mon regard fasciné et je jouais de ce moment bouleversant qui combine complicité et mise à distance, pour voir ce qui à cet instant est en train de se fabriquer. Durant ces courts moments j’ai essayé de guetter au mieux mais malgré les yeux grands ouverts devant l’écran numérique j’étais presque aveugle, tout allait trop vite, il a fallu laisser le temps pour que se révèlent les images.
Enfin, je souhaite souligner le travail remarquable de l’équipe qui nous a accueillis, accompagnés, assistés, transportés, orientés et qui a su faire preuve d’une excellente organisation alliant souplesse, professionnalisme et convivialité pour rendre possible tous ces moments magnifiques.
Edouard Sautai. 17 Février 2014
Documentaire sur l'exposition de fin de résidence
Les séances de prises de vue se sont déroulées au cours de ballades de quelques heures dans la région vers les paysages, les montagnes, les architectures, les monuments, à la recherche de cadres multiples et diversifiés. Ainsi, le territoire, leur territoire, celui du vent d’Autan, à travers les portraits, se visite en arrière-plan comme un déroulé cinématographique. La ferme et la serre du foyer, deux lieux auxquels la fonction donne une apparence qui ne les rattache pas de façon évidente à une structure d’accueil, ont aussi servi de cadre photographique. Les modèles furent invités à choisir l’endroit, la tenue vestimentaire et la posture pour la pose. Tous ou presque, sur la base du volontariat, se sont présentés, devant l’appareil photographique pour une séance de portrait.
Parallèlement j’avais aussi le désir de réaliser un portait sonore du lieu et de ses occupants. Pour m’accompagner dans la mise en œuvre de ce travail, j’ai invité Alain Michon, créateur sonore, avec qui j’avais partagé il y a deux ans l’expérience d’une création de spectacle Chorégraphique de Geneviève Pernin, chorégraphe. Alain fut un complice indispensable pour des questions artistiques et techniques, de la mise en partage des éléments naissants jusqu’au dessin de la restitution du projet. Dans le logement mitoyen du foyer, mis à notre disposition par le FOT, nous avons multiplié les séances d'écoute et croisé nos regards sur les photographies jusque tard dans la nuit, au cours de nos séjours communs. Le son de l’exposition est un assemblage d’éléments sonores produits durant la résidence, au FOT ou lors des sorties. Les bruits du lieu, des machines, des objets, des moments d’enregistrements partagés sont agencés avec les entretiens individuels ou collectifs.
À l’approche de la présentation du travail, le choix de réaliser un parcours construit fut unanime, la présentation spatialisée des photographies étant pour moi le moyen de mieux identifier ce travail comme mien. La sonorisation d’un espace de déambulation nous ouvrait des perspectives d’invention d’une plus grande richesse.
Si les prises de vue furent toutes ou presque réalisées en dehors du foyer, l’exposition prend place au sein de celui-ci. Evitant les espaces de vie, nous avons choisi des espaces fonctionnels que l’on retrouve fréquemment dans les collectivités : lieu de travail, d’atelier, de stockage, de bureau, des espaces parfois non maitrisés, ou indéterminés, des espaces que nous pouvions transformer et modeler pour que peut-être, le visiteur par la déambulation se transforme en voyageur.