Miroir. 2013
Exposition L’Art dans les chapelles.
Notre-Dame des Fleurs (Moric, Moustoir-Remungol, 56500), été 2013 et 2014
Chapelle, bassin en bâche caoutchouc et bois, eau et encre noire, dispositif d'éclairage
Dimension du bassin: 9 x 7 m
Allocution de Karim Ghaddab, commissaire pour l'ouverture de l'exposition
...la circulation est contrainte à l’intérieur de la chapelle, du fait de la présence de l’œuvre et c’est déjà un premier point remarquable d’avoir une intervention d’artistes qui physiquement au sens propre du terme occupe l’espace de la chapelle , l’occupe à tel point qu’un petit passage est ménagé autour du bassin, qui permet d’entrer par une porte et de sortir de l’autre. Donc un passage, une circulation qui est évidemment très différente de celle que proposent des chapelles dans leur usage liturgique. Tout à coup, notre présence est orientée, comme chorégraphiée par la présence de l’œuvre.
Que se passe-t-il lorsque l’on déambule le long de cette œuvre, dans cette espèce de douve inversée , c’est à dire lorsque l’on marche dans ce qui apparait comme un fossé sec à côté du plan d’eau ?et bien , on regarde ce plan d’eau , en supposant qu’une œuvre d’art , c’est ce qu’il y a « à voir », et que nous montre l’œuvre d’Edouard Sautai ? C’est la chapelle elle-même .Donc un jeu de renvoi entre notre regard qui va chercher en direction de l’œuvre et de l’intervention de l’artiste , laquelle nous renvoie vers la chapelle et vers différents points de la chapelle , suivant l’endroit où l’on se trouve puisque selon que l’on se trouve à un bout ou à un autre de la nef , si tenté que l’on puisse parler de nef pour cette chapelle si particulière , on va découvrir dans l’eau comme une image soit le chœur qui est très richement orné, très chargé et presque une révélation extrêmement chatoyante , extrêmement colorée, extrêmement riche , des choses que l’on n’aurait peut-être pas vues directement ou pas de la même façon et je pense que du point de vue plastique et chromatique , ce phénomène de réflexion dans l’eau apporte une lumière, une coloration particulière qui n’est pas celle de la vue directe sur l’autel.
Et puis lorsque l’on fait le tour, que l’on suit le chemin et qu’on regarde de l’autre côté , avec le chœur dans le dos, on découvre dans l’eau l’image de la charpente de la chapelle, qui est une image quasiment inverse , inverse dans tous les sens du terme , inverse puisqu’elle est inversée comme dans un miroir et inverse par rapport à l’image du chœur puisqu’on découvre là une charpente qui est extrêmement simple, presqu’austère et qui peut nous rappeler l’architecture simple d’une grange. Il y a en effet une grande proximité architecturale entre cette chapelle et les granges que l’on peut voir alentour.
Donc, on a deux points de vue qui sont dissociés, deux points de vue que l’on ne peut avoir que l’un après l’autre ; il y a une question de choix, on se place ici ou là, on regarde ceci ou cela, comme les deux faces de cette chapelle, son aspect plutôt rural et rustique ou bien son aspect véritablement liturgique , très orné , chargé de symboles propres à la religion.
Donc cette oeuvre fonctionne comme un miroir, c’est à dire que l’on peut aussi se voir dedans, qu’on peut aussi se pencher. Evidemment on ne peut que penser à Narcisse et si Narcisse finit mal, on espère qu’il n’en sera pas de même pour nous.
C’est un autre point intéressant, ces ruses de fabrication, je crois qu’on est vraiment dans l’illusion, alors non seulement l’illusion propre au miroir, à toute image spéculaire que je viens d’évoquer, mais l’illusion à la fabrication même. C’est à dire que cette image illusionniste ou illusoire, repose elle-même sur des données techniques qui relèvent de l’illusion, presque de la prestidigitation ou de la magie ; c’est excessif de la dire, mais il y a comme un petit miracle qui se produit et on se pose des questions : qu’est-ce que c’est ? Comment ça fonctionne ? Où ça commence ? Où ça finit ? Comment ça marche ? Quel est le truc ? Et très souvent les visiteurs viennent interroger l’artiste pour avoir des précisions techniques.
Il s’agit d’une œuvre très simple, vous le verrez, matériellement, formellement, mais extrêmement efficace, en ce sens qu’elle occupe tout l’espace, reflète tout l’espace et nous permet là encore de renouveler notre regard sur la chapelle et de la révéler. C’est une évidence de dire qu’une telle œuvre ne pourrait pas exister ailleurs ou en tous cas pas de la même façon et qu’elle serait fondamentalement différente dans un autre contexte.
Ici , véritablement , visuellement ,de manière intrinsèque, indémêlable, l’œuvre est liée à la chapelle, les deux sont l’une dans l’autre, bien sûr l’œuvre est dans la chapelle, mais au moins par cette image spéculaire, la chapelle se retrouve également dans l’œuvre et on a ainsi un jeu d’inversion , de haut et de bas qui est d’une part tout à fait fascinant , étonnant et même troublant , on peut être pris d’une sorte de vertige devant cette image profonde , dans tous les sens du terme .
Merci Edouard !